Diplôme de 3 année de l’école de Beaux-Arts de Nantes, 2022

Note d’intention

La structure aléatoire comme la base d’ une narration.

En parlant de l’origine de mes cubes, je dis que tout a commencé lors de la situation “Construire”. À cette époque, l’idée de s’appuyer sur un protocole déraisonnable: la sculpture devait contenir un carré, un triangle et des chaussures, me semblait à la fois ridicule et libératrice.

J’ai créé 6 “paires” de sculptures. Des paires: des chaussures “readymade” + un “symbiote”, une forme triangulaire et carrée guidée par une sensation, un mémoire, équilibre.

Pourquoi des chaussures ? Les chaussures sont sculpturales, expressives et un marqueur social. “I build my career reflecting that bridge between architecture and an understanding of contemporary culture: a shoe, a sneaker is almost less important than a building. Why is it not?” 1

En travaillant sur cette série, j’ai senti qu’il y a de telles configurations d’objets et de matière qui procurent une harmonie soudaine, une  épiphanie. Comme le décrit James Joyce, dans les mots Stephen le Héros2: “Par épiphanie, il entendait une soudaine manifestation spirituelle se traduisant par la vulgarité de la parole ou du geste ou bien par quelque phrase mémorable de l’esprit même”.

En général, c’est le moment où la matière inanimée, recueillie au hasard, commence à respirer. Un miracle !

Le cube était une extension de сette exploration de conclusion des histoires respirantes et poétique dans une forme géométrique et rigide.

Pourquoi cube? Quand je pense à un objet au sens abstrait, c’est un parallélépipède (et j’ai choisi un cube comme celui plus grotesque). Ce sont des formes humaines correctes et droits, on ne les trouvera pas dans la nature. Peu importe la matière dont ils se sont construits, ils restent un concept mathématique. 

Les coins des cubes sont si corrects qu’ils ont l’air coupants. On peut se blesser par eux, on peut blesser avec eux, ils laissent des traces dans la terre humide. Le cube, c’est aussi l’architecture, l’imposition, le vide à l’intérieur, une pièce dans une pièce, le rythme et la rime.

Mon premier cube, un hasard du moment, a déterminé toute la série.

Un entonnoir à l’intérieur d’un cube с’est quelque chose du cours de géométrie, une figure en entoure ou en coupe une autre. Dans ce cas, l’entonnoir aspire de l’espace, de l’air et des insectes dans le cube. Petit trou noir. De l’autre côté du trou noir, comme dans la théorie du big bang, Rafflesia, une fleur parasite prédatrice des tropiques, fleurit. Elle mange des insectes. Ce cube est le parfait moucherolle double face.

Alors, l’idée est la suivante : un cube, un représentant de la nature (tropicale au départ) et un trou!

Un cube, une grenouille, un trou rectangulaire. 

Un cube, un arbre de bouleau, une fissure dans la planète. 

Un cube, une salamandre, un cratère géant pour l’extraction de diamants. 

Un cube, une taupe, une topiaire. 

Un cube ouvert, un sanglier, des yeux, beaucoup d’yeux, le nombre d’yeux augmente et la dualité en noir et blanc devient un échiquier.

John Cage a compilé un catalogue de mouvements musicaux, puis a jeté les dés, composant ainsi ses œuvres: “À partir de cette époque, il compose des musiques uniquement fondées sur le principe d’indétermination en utilisant différentes méthodes de tirage aléatoire dont le Yi Jing. Le mot « aléatoire » doit s’entendre chez John Cage, en anglais, comme chance et non pas random, autrement dit le hasard.3

Peter Greenaway réalise des films intitulés: 92 explosions nucléaires sur la planète Terre, 4 compositeurs américains, 26 salles de bains, 8½ femmes. Sa narration est conclue dans les  structures ouvertes, des listes.

Il y a une paire de cubes-chaussures équipés de piques.

Un botte est le “soft power” de la culture, c’est une exposition photographique itinérante, c’est un papillon sur la joue d’un enfant.

L’autre botte est le “hard power” de la guerre. Les piques dépassent dans tous les sens. Ces piques laissent des blessures dans la terre.

“L’histoire d’un bouton4

Mes deux plus grandes passions sont les vêtements et les récits. Des vêtements trouvés  les combinent tous les deux, en y ajoutant l’autre – le hasard.

Je vous parlerai de mon gardien mystique: un manteau en cuir fumé trouvé à Bruxelles et  3 chaussettes d’adolescent dépareillées trouvées à Nantes se créent une figure d’inconnu composée aléatoirement, hybride entre une personne et une autre.

Il y a une figure pareille  dans le “Manifeste cyborg” de D. Haraway: “Cyborg, in fact, is a paradoxical creature, masculine and feminine, normal and alien, psyche and matter. Conflicting with any category grid, the Cyborg is the expression that blends different evolving identities. Hybrid and shifting identities, built on multiple belongings, that transgress the normative discipline.5

Ce Frankenstein a obtenu un poste de conservateur ici, pour mon diplôme. Il est désormais défini par sa chaise ainsi que par ses vêtements. Il a un métier et une place dans la société.

Désormais il prête son regard (un regard de quelqu’un sans le visage?) à mon exposition, en la changeant: “En physique, l’effet observateur est la perturbation d’un système observé par l’acte d’observation6”.

Bref, en me promenant, j’essaie d’être attentive aux signes, aux objets et situations, aux ensembles inattendus, aux hasards. A tout ce qui m’intrigue. Je photographie ou décrit toutes ces découvertes dans une application de notes. 

Avant j’ai utilisé ces trouvailles ( parfois directement comme des références) dans mes romans graphiques que je faisais avant de me mettre en volume. Maintenant ils m’aident à faire un choix plastique ou font partie de mes œuvres. 

Par exemple, la tresse dans la vase a été trouvée sur la route pendant que j’allais à l’école à vélo. Mon vase était sur la table, et pour m’amuser j’ai mis ma natte dans le vase. Et par une logique étrange, ils fonctionnent très bien ensemble. 

En fait, c’est symbolique. Ce vase s’inspire des vases de Khotan (ancien état bouddhiste qui fait maintenant partie de la Chine) de la collection de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, mais avec des visages des personnages du “Magicien d’Oz”. Quatre bas-reliefs aux visages de héros sont quatre personnages, quatre chemins. Pendant longtemps, je n’ai pas compris comment compléter ce vase, comment montrer ces quatre chemins. Et j’ai trouvé sur mon chemin cette tresse, qui est devenue une solution inattendue.

L’année dernière j’ai découvert l’artiste Helen Marten dont l’approche du travail: “Un onirisme urbain sans limites que cette passionnée de littérature teinte de poésie intemporelle7“, m’est très proche.

Ces installations: “ici, Mozart rencontre un chat tigré en porte-à-faux sur le vide. Là, l’acier habille de singulières tables aux allures de coffres-forts éventrés. Plus loin, un mégot géant jeté dans un bouquet d’orchidées, qu’importe !7” semblent faites des objets hétérogènes, incongrus, elles sont pensées en amont: avant de commencer à travailler sur l’exposition, 

elle lit beaucoup (surtout de la poésie), esquissant ou notant toutes les idées qui apparaissent au cours de la lecture, elle fait des photos autour de la ville pour trouver des nouvelles logiques d’ensembles d’objets. Finalement, on est  à la frontière du réel et de la fiction qui s’accompagnent et s’inspirent.

Mon rapport avec la nature.

J’aime la terre, les arbres, les animaux, j’aime observer la nature.

En août, j’ai acheté le livre “Apprendre à voir” d’Estelle Zhong Mengual, consacré à la crise de la culture du vivant en Occident. Les trains, par exemple, sont profondément ancrés dans nos vies et évoquent de nombreuses associations, tandis que les cerfs qui vivent dans les forêts de toute l’Europe en évoquent peu ou pas du tout. 

Elle écrit: “ne pas avoir une culture du vivant contribue à le tenir en dehors du champ non seulement de l’attention, mais aussi de l’importance, hors du règne des entités qui existent fort dans notre monde, hors de notre monde commun. Travailler à enrichir notre culture du vivant […] c’est aussi dès lors un geste politique, dans un temps où l’on comprend enfin la toxicité profonde qu’il y a à se rapporter au vivant comme simple décor de nos vies.8

Elle propose d’observer davantage la nature, d’être naturaliste comme au 18ème siècle. Dessinez des fleurs, observez les fourmis et les papillons.

En observant  l’écorce des bouleaux, on voit souvent des yeux, et parfois des paysages semblables à l’aquarelle chinoise: des mers où les fines lignes horizontales sont des vagues et des montagnes.

J’ai tracé l’écorce de bouleau dans Adobe Illustrator pour programmer une machine à broder. Ces broderies sont présentes sur les côtés du pantalon enraciné, en hommage aux trois bandes d’Adidas, ainsi que sur la robe décousue d’un côté, comme extraite d’une écorce d’arbre.

A l’ancienne Russie, l’écorce de bouleau était utilisée comme support d’écriture ou de dessin.

Cette metamorphose entre un arbre et notamment un arbre du bouleau et une femme est du au mythe de Daphné9 (la nymphe se transforme en arbre pour éviter l’Apollon obsessionnellement amoureux).

Il y a un bouleau sur un de mes cubes et d’autres animaux.

Depuis que j’ai découvert cette question de représentation des animaux dans l’art, je me suis permis de m’exprimer à ce sujet, construire des univers dont le tiers ou deux tiers provient de la nature (sa représentation dans la Nature).

Chaque cube est un petit monde dans lequel la relation entre la forme du cube (l’espace extérieur et intérieur, la périodicité, la rigidité, les coins, les cubes pour enfants, l’architecture), celle de l’animal (l’emblème, la photographie, le symbole, le héros folklorique), celle du trou (le terrier, le trou noir, la fissure, la carrière de diamants, l’espace pour entrer un pied dans une chaussure) créent des règles pour un nouveau langage.

Bibliographie

  • Virgil Abloh, l’entretien dans Frog n° 19. Virgil Abloh est un créateur américain pluridisciplinaire aux intérêts multiples
  • “Stephen le Héros”, James Joyce, 1975
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Cage Wikipedia de John Cage
  • Hommage sur le récit de Robert Walser “Discours à un bouton” 
  • Donna Haraway “Manifeste cyborg”, 1985
  • https://fr.wikibooks.org/wiki/Th%C3%A9orie_quantique_de_l%27observation Wikipedia sur “Théorie quantique de l’observation”
  • Helen Marten “Le quotidien vu comme une œuvre d’art”, Yann Kerlau, MARS_2017-2
  • Estelle Zhong Mengual “Apprendre à voir”, 2021
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Daphn%C3%A9_(nymphe) Wikipedia sur le mythe de Daphné et Apollon
  • Helen Marten, installation “Drunk Brown House” t à la Serpentine Sackler Gallery de Londres, 2016
  • Baptiste Morizot, Estelle Zhong Mengual “Esthétique de la rencontre : l’énigme de l’art contemporain”
  • Gaston Bachelard, “La poétique de l’espace”, 1957;  “L’Eau et les Rêves”, 1942 
  • Gilles Deleuze, “Logique du sens”, 1969
  • Gilles Deleuze, Félix Guattari  “Mille Plateaux”, 1980
  • Alberto Savinio est un écrivain, un peintre et un compositeur italien, et le frère cadet de Giorgio De Chirico, l’un des inspirateurs du mouvement surréaliste
  • Richard Wentworth est un artiste britannique né en 1947 aux Samoa, également professeur au Royal College of Art. Il photographie la rue, des objets abandonnés. 
  • Peter Fischli et David Weiss sont des artistes suisses originaires de Zurich
  • Gilbert & George sont deux artistes plasticiens britanniques travaillant en couple

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